Avant que l’idée même de notre Confédération ne voie le jour, et lorsque la loi du plus fort et du plus grand nombre s’imposait encore par la violence, une vallée reculée de l’Helvétie d’alors, composée de vingt-six villages, vivait en conflits constants, au gré des alliances qui se créaient et se dissolvaient entre les uns et les autres. Six villages prospères avaient néanmoins réussi, au fil des ans, à mettre de côté suffisamment de réserves pour les temps difficiles, alors que les vingt autres, moins prévoyants, vivaient au jour le jour, dans l’incertitude du lendemain.
La nécessité d’une alliance des vingt pour piller les six villages économes se fit rapidement jour, justifiée par un principe de solidarité, inventé pour la circonstance, aux termes duquel - dirait-on aujourd’hui - la fourmi devait soutenir la cigale.
Sitôt dit, sitôt fait, et les vingt pillards s’en allèrent avec leur butin, laissant aux victimes, ni plus ni moins que ce qui était nécessaire à leur subsistance.
Les malheureuses victimes ne l’entendirent pas de cette oreille et exigèrent sur-le-champ une réunion des chefs des 26 villages. Les vingt profiteurs, décidés à donner à leur rapine un semblant de légitimité, acceptèrent la réunion dont ils fixèrent l’ordre du jour : faut-il rendre le butin aux victimes ?
Le résultat du vote vous le devinez. Ce semblant de démocratie eut raison de la justice, laquelle retourna d’où elle venait, c’est-à-dire de nulle part.
C’est exactement ce qui s’est passé au sein de la Commission de la sécurité sociale et de la santé du Conseil des Etats le 22 janvier dernier. Pourquoi rendre ce qui nous est échu si l’on peut le garder ?
Certes les cantons bénéficiaires de nos réserves excédentaires n’ont rien volé, au sens pénal du terme, puisque ce sont nos assureurs maladie qui le leur ont impunément versé. Il se trouve cependant qu’il est aujourd’hui admis que les assurés de six cantons, dont Genève, ont été contraints d’accumuler deux milliards de réserves injustifiées, qui ont été transférées ailleurs, plutôt que de venir absorber les hausses des coûts de la santé de ces mêmes cantons. Paradoxalement, les cantons victimes de ce pillage moderne sont ceux-là mêmes que l’on accusait, année après année, d’être des cancres, alors qu’ils faisaient à leur insu les devoirs des premiers de classe…
Cette décision, si elle était maintenue, constituerait une violation grave de notre fédéralisme qui mériterait des mesures de rétorsion uniques dans notre histoire.
Les armes se fourbissent, et Genève verse suffisamment dans le cadre de la péréquation financière intercantonale pour fermer les robinets si l’on continue de se moquer d’elle.
Et il est exclu que les habitants de Genève versent désormais, jusqu’à règlement du litige, un seul centime de hausse de primes d’assurance maladie. Dès la fin de cette année, l’Etat devra mettre en place un guichet à disposition de la population, afin de contester systématiquement devant la justice toute augmentation. Si les coûts de la santé augmentent à Genève, nos assureurs devront d’abord utiliser les excès de réserves qui ont été constituées. Et qu’ils ne viennent pas nous dire qu’ils n’ont pas l’obligation de le faire. Si la LAMal a institué des primes cantonales c’est précisément pour responsabiliser les habitant d’un même canton dans la lutte contre la hausse des coûts. Cette cantonalisation des primes, Monsieur Alain Berset ne peut s’accommoder d’une fédéralisation des réserves.
Les bornes sont dépassées et l’on ne se moquera pas plus longtemps des Genevoises et des Genevois !